Au plus tard, à partir du 1er novembre 2022, un nouveau contrôle administratif, créé par la loi du 23 décembre 2021, va assurer la transparence et la régulation du marché sociétaire pour permettre d’orienter davantage de terres vers l’installation de jeunes agriculteurs.

Fortes de leur compétence et de leur expérience, les Safer ont accepté, au nom et pour le compte de l’Etat, d’être instructeurs des dossiers qui feront l’objet de ce contrôle. La décision relèvera du seul Préfet de département.

Après de vifs débats, la loi « portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires » (dite « loi Sempastous ») a été promulguée le 23 décembre 2021 (texte n° 2021-1756) et publiée au Journal officiel le lendemain.

Travaux préparatoires :

Le Parlement a définitivement voté la proposition de loi déposée le 9 février 2021 par le député Jean-Bernard Sempastous et plusieurs de ses collègues (le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée sur ce texte le 30 avril), sur laquelle le Conseil d’Etat a rendu un avis favorable le 6 mai 2021, notamment au regard des exigences constitutionnelles (droit de propriété, liberté d’entreprendre). Le texte de cette proposition avait été adopté en première lecture, avec modifications, par l’Assemblée nationale le 26 mai, puis par le Sénat, avec de nouvelles modifications, le 3 novembre. Après accord en commission mixte paritaire le 1er décembre, le Sénat a adopté la proposition de loi le 7 décembre ainsi que l’Assemblée nationale le 13 décembre.

Entrée en vigueur :

Le dernier article de cette loi (art. 7) fixe les dates d’entrée en vigueur des différents articles qu’elle comporte. C’est une entrée en vigueur échelonnée dans le temps qui est prévue. Trois dates sont prévues : au plus tard le 1er juillet 2022 le Gouvernement doit fixer, par décret en Conseil d’Etat, les conditions d’application du contrôle administratif du marché sociétaire ; au plus tard le 1er novembre 2022, chaque préfet de région doit arrêter le seuil d’agrandissement significatif applicable dans sa région ; au plus tard le 1er janvier 2023, le groupe Safer doit mettre en place un portail de télédéclaration pour recevoir les informations déclaratives et les demandes d’autorisation sur les opérations sociétaires, que celles-ci interviennent avec ou sans le concours d’un notaire.

L’essentiel de la loi

En réponse à l’essor du marché des parts de sociétés agricoles, qui échappe aujourd’hui en grande partie aux « filtres » actuels que constituent le contrôle administratif des structures des exploitations agricoles (ce contrôle ne s’applique que lorsque l’agrandissement résulte d’un rachat, par une personne physique, de parts d’une société à objet agricole et si cette personne participe effectivement aux travaux : CE, 30 nov. 2021, n° 439742, aux Tables du recueil Lebon) et l’intervention des Safer (celles-ci ne peuvent agir sur le marché sociétaire que de façon très limitée puisque leur droit de préemption ne peut s’exercer qu’en cas de cession à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole : art. L. 143-1, 8ème alinéa, du code rural), cette loi instaure un dispositif, inédit en Europe, de « contrôle administratif » (il ne s’agit pas d’un droit de préemption) dédié au marché sociétaire et portant plus spécifiquement sur certaines prises de participation au capital d’une société possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, ceci afin de mieux réguler la cession des terres agricoles via des parts ou actions d’une telle société.
La régulation du marché sociétaire a principalement pour objectif de favoriser l’installation d’agriculteurs et le renouvellement des générations agricoles en luttant contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles.

Le dispositif de contrôle repose sur les trois piliers indissociables de la régulation du foncier, que sont :

  • la TRANSPARENCE (notification des opérations sociétaires pour connaître le marché et savoir ce qui se passe sur le territoire : parties à l’acte, projets, prix, etc.),
  • le CONTROLE (pour mesurer l’impact des projets notifiés et de la concentration au regard des besoins ou enjeux des territoires et de l’agriculture et pour intervenir à bon escient afin de limiter les effets de cette concentration et de libérer du foncier),
  • l’ORIENTATION (pour donner accès au foncier dans des conditions transparentes et équitables et permettre d’allouer le foncier libéré à un agriculteur réalisant une installation ou, à défaut, à un agriculteur ayant besoin de consolider son exploitation, avec un suivi au travers un cahier des charges).

La loi prévoit le déclenchement d’un mécanisme de contrôle à deux conditions cumulatives :

  • l’opération sociétaire doit conduire à une prise de contrôle d’une société possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole (notion de « prise de contrôle » définie par le code de commerce : participation au capital qui confère, de droit ou de fait, la majorité des droits de vote ; généralement, le droit de vote est proportionnel au nombre de parts sociales détenues par chaque associé),
  • l’opération doit aboutir, par addition de toutes les surfaces agricoles possédées ou exploitées par le déclarant, à dépasser un seuil en surface défini par le préfet de région (par région naturelle ou par territoire) compris entre 1,5 et 3 fois la SAURM (surface agricole utile régionale moyenne) fixée dans le SDREA (il sera tenu compte des équivalences en fonction des natures de culture). Par exemple, pour la région Nouvelle-Aquitaine, la SAURM, toutes productions confondues, est actuellement de 77 ha (art. 4 de l’arrêté préfectoral du 17 mars 2021) ; ainsi, pour cette région, le seuil d’agrandissement significatif sera compris entre 115,5 ha et 231 ha.

Les parlementaires ont exempté de ce contrôle les opérations sociétaires réalisées par les Safer et les cessions de parts entre époux ou personnes liées par un pacte civil de solidarité et entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus (cousins germains), à condition que le cessionnaire s’engage à participer effectivement à l’exploitation des biens et à conserver la totalité des titres sociaux acquis pour une durée d’au moins neuf ans. Ont aussi été exemptées les opérations réalisées à titre gratuit (donation) ainsi que les cessions entre exploitants associés de longue date.

La loi a chargé les Safer d’assurer (via un portail de télédéclaration) la transparence du marché sociétaire (obligation déclarative pour toute cession de parts de société détenant en propriété ou en jouissance des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole ou détenant des droits sur de telles sociétés et pour toute opération emportant modification de la répartition du capital social ou des droits de vote et aboutissant à transférer le contrôle d’une telle société) et l’instruction des demandes d’autorisation des opérations sociétaires (celles remplissant les conditions cumulatives précitées) : cette instruction sera faite au nom et pour le compte de l’Etat et sous son contrôle.

Si l’instruction par la Safer conduit l’Etat à considérer, après mise en balance des intérêts en présence, que la satisfaction des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des exploitations existantes est supérieure au bénéfice que peut présenter l’opération sociétaire au développement du territoire, le préfet de département proposera au déclarant, à titre conservatoire, avant de s’opposer à l’opération, qu’il consente à s’engager à prendre des mesures compensatoires en libérant du foncier, à la vente ou à la location, à destination d’un agriculteur réalisant une installation ou, à défaut, à un agriculteur ayant besoin de consolider son exploitation. Le texte laisse au déclarant le choix de réaliser lui-même ses engagements ou de solliciter l’appui de la Safer pour les mettre en œuvre via une promesse de vente ou de location.

Au vu des mesures compensatoires proposées par le déclarant et de l’avis de la Safer sur celles-ci, le préfet de département prendra une décision : il pourra soit autoriser sans condition l’opération, soit autoriser celle-ci en la subordonnant à la réalisation effective des engagements librement consentis par le déclarant, soit refuser l’autorisation en l’absence d’engagements ou si ceux-ci sont manifestement insuffisants ou inadaptés.

Si les engagements qui conditionnent l’autorisation ne sont pas exécutés dans le délai imparti (6 mois), le préfet pourra, après mise en demeure, retirer l’autorisation, entraînant la nullité de la cession. Une sanction pécuniaire pourra s’y ajouter.

Enfin, le Gouvernement devra réaliser une évaluation nationale du dispositif dans un délai de trois ans.